Depuis 2021, Michel et Sébastien Bras ont acclimaté leur cuisine à la Halle aux Grains, le restaurant niché au sommet de la monumentale Bourse du Commerce. Parmi les œuvres de la collection Pinault, loin de leurs terres aveyronnaises mais toujours près de leurs valeurs culinaires, le duo père-fils compose une cuisine paysanne, savante et sensible, inspirée du lieu chargé de mémoire dans lequel ils se sont installés. Avec ce récit, nous poursuivons notre série consacrée à ces grands chefs qui officient dans de grands lieux du patrimoine.

L’ambitieux chantier de rénovation – orchestré, notamment, par l’architecte japonais Tadao Ando – prévoit l’ouverture d’un restaurant gastronomique, très rapidement proposé à la famille Bras : « Tout a commencé avec un e-mail envoyé par Jean-Jacques Aillagon, ancien Ministre de la Culture, et conseiller de François Pinault, se souvient Sébastien Bras. Il revenait d’un déjeuner au Café Bras, le restaurant que nous avons mis en place au sein du Musée Soulages, à Rodez, et le repas lui avait beaucoup plu. Quelques semaines plus tard, un hélicoptère s’est posé près de chez nous à Laguiole. Il transportait Monsieur Pinault et l’ancien directeur de la Bourse du Commerce. Nous avons passé deux heures, tous ensemble, à échanger sur le sujet dans notre bureau – et l’idée d’investir notre cuisine dans ce nouveau lieu nous a tout de suite séduits et

inspirés. »

Lors des mois qui suivent, Sébastien et son père réfléchissent à la façon dont ils peuvent donner du sens à ce projet. « Ce qui nous importait le plus, c’était de raconter une histoire, poursuit le chef aveyronnais. Avec mon père, on s’est intéressé à la mémoire de la Bourse du Commerce : on a pris contact avec des historiens qui nous ont révélé le passé de cet édifice, jusque dans les moindres détails. En creusant, ce qui nous a plu, c’était cet ancrage fort qu’avait le bâtiment avec le monde des graines, des pousses et des céréales. Nous avions là une nouvelle histoire culinaire à raconter, différente de celle que nous écrivons depuis toujours à Laguiole. »

Avec le cabinet Nyney et Marca (NeM), les Bras travaillent sur l’architecture globale du lieu et organisent l’espace de restauration en un enchevêtrement de petits salons. Ils imaginent, avec le duo de designers Ronan et Erwan Bouroullec, un ensemble mobilier (tables, chaises, tentures), entièrement fabriqué sur mesure, aux formes brutes et aux finitions martelées, qui renvoie au passé industriel de l’enceinte. « C’est un restaurant qui met en valeur le bâtiment dans lequel il prend forme : on a effectué de vraies recherches sur les matières et les textures, toujours en lien avec l’origine de ce lieu », souligne Sébastien Bras.

Pour filer cette métaphore du grain, les Bras font appel à une styliste aveyronnaise qui s’inspire des costumes des anciens employés du bâtiment pour dessiner les uniformes du personnel de salle. Et pour compléter la tenue, l’entreprise artisanale Tuffery confectionne des jeans en chanvre brut qui rappellent les vêtements de travail. Le logo lui aussi est céréalier, dessiné par un studio qui a créé une typographie dont l’esthétique séminale compose le mot « grain ».

Côté cuisine, pour Sébastien et Michel Bras, l’enjeu n’était pas de chercher à reproduire les mêmes recettes qu’à Laguiole mais bien de créer une carte propre à l’endroit dans lequel ils allaient s’installer : « On voulait une cuisine généreuse et gourmande, qui fasse de petits clins d’œil à l’univers de la graine, en utilisant les céréales par petites touches, comme des assaisonnements. On travaille les pousses, les graines germées et les céréales de multiples façons : salées, sucrées, frites, en pâtes déshydratées, soufflées… on les triture dans tous les sens et on trouve cela réellement passionnant ! ».

Ce jour d’automne, à la carte du menu dégustation qui se décline en 3, 5 ou 7 séquences, on retrouvait par exemple une demi-aubergine farcie d’un boulgour de blé, relevée d’ail noir, de câpres et de fromage blanc perlé à l’huile de sarriette. Mais aussi des ris d'agneau de l'Aveyron poêlés au beurre d’épeautre, accompagnés de cèpes de Haute-Loire et de carottes nouvelles, le tout recouvert d’un délicieux jus d’agneau perlé à l’olive et au citron. Et en dessert, un monumental millefeuille croustillant à l’épeautre sur un édredon de crème aux deux vanilles de Madagascar et Tahiti, était accompagné de soyeuses mirabelles rôties au miel.

Sur la carte des vins, les Bras continuent de filer la métaphore du grain – celui du raisin. Sur une idée de Sergio Calderón, sommelier des Bras à Laguiole, plus de trente vignerons ont ainsi produit des cuvées spéciales pour La Halle aux Grains. Parmi les nombreuses bouteilles de cette sélection baptisée « Cuvées de grains », toutes en monocépage. Ainsi le « Grains de Sauvignon blanc » d’Anne Vatan, à Sancerre (millésime 2019) ou encore, en rouge, le « Grains de Cabernet Sauvignon », dont le raisin a été cueilli et vinifié au Château Latour, à Pauillac (millésime 2017).

La salle principale du restaurant, traversante, offre un point de vue à couper le souffle. Sur la gauche, quelques ouvertures discrètes dans le mur permettent d’admirer l’enceinte majestueuse de la Bourse du Commerce et son impressionnante rotonde de béton dessinée par Tadao Ando. À droite, à travers une grande baie vitrée, le regard se perd sur l'église Saint-Eustache, sur la canopée du Forum des Halles et les cimes dodues du Centre Pompidou. D’où que l’on se place, la lumière du ciel est omniprésente.