SERVICE
CONTINU
IMMERSION
Bertrand Grebaut et Théophile Pourriat : la constellation de Septime
Novembre 2022
IMMERSION
Bertrand Grébaut et Théophile Pourriat : la constellation de Septime
Amis de longue date, Bertrand Grébaut et Théophile Pourriat forment l’un des duos de restaurateurs les plus influents de leur génération. Septime, leur navire amiral, a connu dès son ouverture en 2011 un succès fulgurant, porté par la reconnaissance du classement international “50 Best” avant d’être couronné d’une étoile Michelin. Un livre et cinq adresses plus tard, leur réputation n’est plus à faire et les Daft Punk de la cuisine française contemporaine ne cessent d’étendre le domaine de Septime dans la rue de Charonne, sur la rive gauche de la Seine et jusqu’aux collines du Perche. Un binôme complice de travailleurs acharnés qui nous démontre une nouvelle fois qu’à deux, on va (beaucoup) plus loin.
Un restaurant gastronomique (Septime), un bar à vins (Septime, la cave), un écailler contemporain (Clamato), deux pâtisseries (Tapisserie, l’une rive droite, l’une rive gauche) et une maison d’hôte à la campagne (D’une île) : ce sont là les étoiles de la constellation Septime, joliment racontée dans un livre paru chez Phaidon en 2021. Pour fédérer leurs 75 employés, dresser leurs centaines d’assiettes et monter leurs milliers de gâteaux, Bertrand Grébaut et Théophile Pourriat ne sont pas trop de deux.
Ces amis de lycée devenus associés de talent ont fait de la collaboration une seconde nature dans le travail. Mais comment se fait la répartition des tâches chez Septime ? “Bertrand s’occupe de tout ce qui se mange, moi de tout ce qui ne se mange pas”, précise Théo, comme une évidence. Une simplicité révélatrice de la complicité à l'œuvre entre ces deux alliés, entrés ensemble en restauration en empruntant des chemins différents.
“J’ai découvert le bistrot et les vins naturels en 2001-2002 dans l’établissement de Julien Cohen, Les Cailloux, où j’assurais le service en salle et au bar. Ce métier m’a tout de suite emporté : je l’ai trouvé concret, animé, socialement excitant. J’étais au cœur de ce milieu de la gastronomie qui vivait alors une petite révolution et était en train d’inventer la bistronomie”, nous confie Théo, sommelier et co-manager. Bertrand, quant à lui, a choisi une voie plus classique pour arriver au même endroit : après des études de design, il est entré à l’école Ferrandi et a travaillé chez Robuchon où il a fait corps avec le classicisme culinaire français, avant de s’en détacher en découvrant la cuisine artiste d’Alain Passard. “Soudain, j’ai découvert une manière de cuisiner sensible et intuitive, plus spontanée et poétique aussi : ça a été une révélation !”, se souvient Bertrand.
Dans son mémoire de fin d’études, Bertrand imaginait son restaurant idéal qui ressemblait déjà grandement à ce que deviendra Septime quelques années plus tard : “une adresse à la Chateaubriand (NDLR : le restaurant d’Iñaki Aizpitarte) où l’on va avec ses amis, où l’on mange des assiettes de haut vol et où l’on boit du vin naturel dans une ambiance décontractée”, résume Bertrand.
Si leurs parcours divergent, leurs goûts et leurs idées s’affirment de concert pendant leurs années de colocation. En 2011, leur restaurant commun prend place rue de Charonne. Il y règne une atmosphère feutrée, élégante, à la sobriété scandinave réchauffée par les tables en bois buriné et un escalier en colimaçon à la parisienne. Septime est né. Un nom curieux à l’époque qui, dix ans plus tard, semble des plus familiers. “Nous avons choisi ce nom en référence humoristique au film Le grand restaurant, avec Louis de Funès, dans lequel l’établissement en question s’appelle Septime. On voulait quelque chose de légèrement décalé, de reconnaissable, un nom classique et étrange à la fois”, nous racontent les deux acolytes.
Bertrand et Théo trouvent rapidement leur vitesse de croisière : leur affaire est pleine tous les jours, leur réputation grandit et la presse se précipite à Charonne pour découvrir ce nouveau phénomène culinaire. S’ensuivent, dès la première année, un prix Fooding et une entrée au sein du 50 Best que Septime n’a jamais quitté depuis, au point d’être aujourd’hui le premier restaurant français du célèbre palmarès international, classé à la 22ème place. Une consécration exprès couronnée par une étoile Michelin décrochée en 2014.
Depuis une décennie, le style Septime se déploie ainsi dans des menus tributaires de la saisonnalité qui conservent malgré tout des éléments fixes. Le repas commence toujours par un bouillon d’accueil et un poisson cru, comme cette seiche dans son plus simple appareil, plongée dans un consommé glacé très aromatique au fenouil, citron Meyer et concombre préservé, frais et délicat. Dans la foulée, arrive, en contrepoint, un plat opulent de cèpes rôtis à la crème, au genièvre et couverts de lamelles de bœuf séché, tout en rondeur enveloppante. Une entrée en matière qui oscille entre le souvenir de l’été déclinant et les retrouvailles avec l’automne naissant. “Le menu ici se fait en fonction des légumes disponibles ; l’assiette raconte l’état de la nature ! Mais dans cette variation saisonnière, je garde une ligne directrice, une alternance dans le menu entre des plats rassurants et d’autres surprenants, à tour de rôle.”, confie Bertrand.
Après le succès de Septime, les deux associés ouvrent un écailler juste à côté : Clamato. Cet ancien garage de motos devient une enseigne à poissons et fruits de mer d’inspiration cosmopolite avec sa verrière sur cour jardinée. “Clamato se construit comme le négatif de Septime : c’est un restaurant lumineux, où il y a de la musique, qui sert en continu et sans réservation. C’est une adresse plus informelle, moins contraignante mais qui a son caractère propre.”, analyse Théo. A tel point que Septime et Clamato constituent deux univers relativement indépendants l’un de l’autre, le second n’étant pas la succursale du premier. Sur la carte, l’iode règne en maître avec des huîtres, des bulots, des ceviches et cette tarte fine aux oignons caramélisés et crème crue, striée de belles sardines marinées et de ciboulette ciselée.
Et comme ils veulent toucher à tous les aspects de la restauration, les deux comparses ont lancé leur pâtisserie, Tapisserie, en hommage amusé à une légère dyslexie enfantine. C’est chez D’une île, leur maison d’hôte champêtre, que l’idée de proposer du sucré à fait son chemin. “Fanny, notre cheffe pâtissière, y préparait des goûters dans une ambiance de maison de campagne, à la chaleur du foyer. Alors avec elle, on a lancé une boutique dans le 11ème, puis dans le 7ème”, ajoute Théo.
Le trait d’union entre Clamato et Tapisserie, c’est leur fameuse Clamatarte, une tartelette au sirop d’érable et à la crème fouettée dont les habitués raffolent. En plus des tartes aux fruits et des viennoiseries, l’autre star de leur vitrine, c’est ce chou à la crème aromatisé à la flouve odorante, une herbe qui pousse en abondance sur leur terrain percheron et dont ils ont découvert les vertus aromatiques sur place. “Les hasards, les opportunités et les rencontres ont toujours été le moteur de nos projets !”, s’amuse Théo.
Après tant d’aventures en binôme, quel sera leur coup d’après ? “Pousser encore plus loin l'éco-responsabilité, le bien-être au travail de nos employés et penser la restauration en dehors du cadre du restaurant, sans doute”, lancent-ils à l’unisson. Derrière eux, pendant cet entretien, c’est toute une équipe qui s’affaire, dont Alessia au bureau, Laurence qui s’occupe des chiffres et Pauline, Directrice Générale de tous leurs lieux. Car au-delà de ses deux capitaines, le navire Septime est constitué d’un important équipage qui est sur le pont par roulements, en semaine de quatre jours de travail. “Le fait d’avoir des adresses aussi proches permet de réunir les équipes au cours des repas du personnel par exemple, c’est très important”, insiste Théo.
En dix ans, le duo que forment Bertrand et Théo a évolué, mûri, mais leur connivence est toujours palpable. Un pas de deux qui devrait les mener encore plus loin.
Aïtor Alfonso
Septime
Ouvert du lundi au vendredi, déjeuner et dîner
80, rue de Charonne
75011 Paris
https://www.septime-charonne.fr
Crédit photo : Olivier Toggwiler