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Pierre Gagnaire, cuisinier de son état

 

Janvier 2024

Un repas au Restaurant Pierre Gagnaire vous laisse un souvenir émouvant, une empreinte indélébile qui continue de vivre en vous avec le temps. Car lorsqu'on s’attable dans les salons du 6 rue Balzac (Paris 8ème), accompagné par un service impeccable, on goûte à une cuisine de haut-vol. Sur les tables défile une succession d'assiettes à la fois originales, sensibles et réconfortantes qui ont toutes un supplément d’âme. Et puis si l’on vient ici, il faut l’avouer, c’est aussi pour être le témoin privilégié d'une histoire. Celle d’un chef précurseur et iconoclaste, à la carrière longue et dense, dont le simple logo (trois traits reliés en angles droits formant une table) est désormais reconnu dans le monde entier.

 

Pierre Gagnaire
Pierre Gagnaire
Pierre Gagnaire

 

La « galaxie » Pierre Gagnaire se compose de plus d’une quinzaine de restaurants, établis aux quatre coins du globe, de Paris à Nîmes, en passant par Londres et Séoul. Mais celui de la rue de Balzac (3 étoiles au Guide Michelin), qui porte son nom, fait figure d'incontournable. C’est entre ces murs décorés d’œuvres d’art que le chef natif de Saint-Etienne est parvenu à se relancer après avoir connu une période de doutes et une terrible faillite au milieu des années 1990. C’est ici que, depuis plus d’une trentaine d’années, s’exprime l’essence de son art : une cuisine de l’instinct, du sentiment, de l’improvisation parfois. Une cuisine tournée vers le produit juste et guidée par le geste sûr. Nous sommes allés visiter le fief de Pierre Gagnaire, quelques jours après la publication de son dernier livre, Pierre Gagnaire, Une vie en cuisine (Éditions Keribus).

 

Sur un comptoir, trônent ce jour-là une dizaine d’exemplaires de l’ouvrage. Plusieurs clients en feuillettent les pages, se l’approprient ; Pierre Gagnaire, jamais bien loin, prend un moment pour échanger quelques mots ou signer une dédicace. « C’est un livre qui devrait intéresser particulièrement les cuisiniers et les gens qui aiment la nourriture, nous confie le chef. Nous y avons retranscrit le déroulé de mes intentions artistiques des dernières quarante années. » L’épaisse bible (plus de 460 pages) a nécessité plus de trois ans de recherches, de conversations et d’écriture. Sous la plume de Julien Fouin, journaliste, restaurateur et auteur, la parole et la vie de Pierre Gagnaire se matérialisent ici sous la forme de récits autobiographiques, d’archives illustrées et de recettes emblématiques. Et le travail du chef se dévoile sous un jour inédit et très personnel. « Nous avons retranscrit un grand nombre des menus qui ont été servis ici, années après années, poursuit-il. Nous avons aussi scanné toutes ces archives que je garde et qui ont jalonné ma vie : des photographies, des coupures de presse, des petits mots que les gens m’écrivent et ces carnets sur lesquels je couche mes idées. Tout cela donne une matière qui est effectivement assez incroyable et qui retrace, quand j’y pense, le parcours d'un type qui, en fait, ne fait rien d’autre que cuisiner. »

Pierre Gagnaire
Pierre Gagnaire

En cuisine, justement, le coup de feu approche. Pierre Gagnaire prend place derrière les grands plans de travail en inox. Ici, il contrôle la cuisson d’un poisson, là, il tire une cuillère d’un bac de trempage pour vérifier le juste assaisonnement d’une sauce. Plus loin, il tire une pince de sa poche pour ajuster le dressage d’un plat. Ce midi d’automne, en pleine période de chasse, le gibier s’invite à la carte. Sous une cloche de chocolat amer, les convives découvrent une selle de chevreuil poêlée à la cannelle et au poivre de Sarawak (une variété originaire de Malaisie, aux notes d’agrume). Le tout est agrémenté de graines de grenade, de carottes taillées et d’une sauce Diane (beurre, moutarde, fond de bœuf) à la couleur brune foncée, parfumée au rhum arrangé. Pour l’accompagner, Pierre Borras, le chef sommelier, sert une tasse de thé Pu-erh millésimé, à l’arôme de sous-bois.

 

Pierre Gagnaire

 

Sur la carte, les intitulés de plats sont incisifs. Ils mentionnent l’origine des produits utilisés et le nom des producteurs. Ce jour-là, par exemple, il est question de « Crevettes impériales David Hervé », de « sommités de choux-fleurs multicolores », de « Rouget de roche enrobé de lard de Bigorre », de glace artichaut, de fondue de Trévise ou encore de cet oignon doux des Cévennes, d’une simplicité désarmante, servi avec des côtes de blettes et des citrons confits. Pour le sucré, on s’abandonne à la gourmandise du fameux “Grand Dessert”, dans lequel on fait la découverte des agrumes du verger de Matthieu Vessières, de salsifis au ginseng ou de caramel au muscovado.

Pierre Gagnaire
Pierre Gagnaire
Pierre Gagnaire

On retrouve Pierre Gagnaire entre deux signatures de son livre et on l’interroge sur cette façon poétique qu’il a de mettre en scène la nourriture. « C'est tellement sophistiqué, ce que l’on fait, commente-t-il. C'est tellement de détails et d’émotions qu'il faut à chaque fois qu’on y mette toutes nos tripes. J'essaie simplement de rendre compte de tout ça de la façon la plus honnête possible. Et ce livre, c'est la traduction de cette histoire… ».

 

En 2023, Pierre Gagnaire est encore là, dans son impeccable veste blanche, toujours vif et créatif, à la fois prolifique et omniprésent : toujours au sommet de son art.

 

Léo Bourdin

 

Restaurant Pierre Gagnaire

Ouvert du mardi au vendredi, déjeuner et dîner

6, rue Balzac

75008 Paris

(+)33 (0)1 58 36 12 50

https://pierregagnaire-lerestaurant.com/

 

Crédit photo : Olivier Toggwiler (Bureau Tonic Studio)