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IMMERSION
Autant en emporte le Taillevent
Août 2023
IMMERSION
Autant en emporte le Taillevent
Si les murs du Taillevent* pouvaient parler, ils raconteraient une bonne partie de l’histoire de la gastronomie parisienne du 20ème siècle. Soixante-dix-sept ans après sa création, l’illustre enseigne à la cave de légende a fait sa mue sous la houlette des frères Gardinier. En cuisine, c’est le chef italien Giuliano Sperandio qui unit tradition et modernité avec un talent éblouissant. Visite de ce grand restaurant qui retrouve son âme d’antan.
Son nom sonne comme une invocation : dix lettres qui sont un hommage à Guillaume Tirel, dit Taillevent, maître queux royal et auteur du Viandier, le plus célèbre des livres de cuisine français du Moyen Âge. C’est aux abords des Champs-Elysées que se love cet ancien hôtel particulier au monumental escalier style Second Empire devenu restaurant en 1946 par la grâce d’André Vrinat. Son fondateur fut aussi un précurseur dans la promotion des grands vins de Bourgogne et de Champagne et inaugura une brillante saga familiale, poursuivie par son fils Jean-Claude et sa petite-fille Valérie. Ensemble, ils ont contribué à faire de cette enseigne un haut-lieu de l’hospitalité à la française, transmise depuis 2011 aux frères Gardinier. Sur son livre d’or, le Taillevent garde la trace d’hôtes de marque, - tels que Yehudi Menuhin, Louis de Funès ou Yves Montand -, tous venus savourer sa haute cuisine bourgeoise reconnue dans le monde entier. Car Le Taillevent réussit le tour de force de rentrer dans l’imaginaire collectif - au point d’apparaître au générique du film d'animation Ratatouille !
C’est de cette mémoire vécue des lieux dont se sent dépositaire Giuliano Sperandio, le chef d’une maison qui force le respect et l’humilité. “La première fois que l’on entre ici, c’est très impressionnant. Au Taillevent, il faut respecter l’histoire de l’endroit qui est mythique ! Je suis venu ici justement parce que j’avais besoin de sentir le poids de l’histoire. J’avais besoin de contraintes, de celles qui aident à créer”, se souvient-il.
Pour saisir l’âme des lieux, le chef a consulté d’anciens menus de la maison, étudié des livres de cuisine de l’époque, révisé son histoire culinaire : “dans les grands restaurants des années 60 et 70, on pouvait servir un lièvre entier, une terrine, un pâté en croûte… Au fond, il y a une parenté entre une très belle brasserie et un triple étoilé : le service. Je suis très sensible à cet imaginaire classique français, à cette cuisine d’opulence où la sauce est fondamentale.”, profère-t-il. Le Taillevent, une âme d’auberge dans un corps de grand restaurant ?
On pourrait s’y tromper tant ce qui prime ici, c’est l’hospitalité : le repas est conçu comme un moment de satisfaction et non comme un cérémonial de dégustation cérébral et complexe. Une alliance de distinction et de convivialité que veille à ressusciter le chef. “J’ai voulu en finir avec les menus en 10 ou 12 envois au profit d’un retour à ce qu’a toujours été un repas au Taillevent : 3 ou 4 envois maximum, un rythme de service soutenu, une salle de 70 couverts bruissante et vivante, des découpes devant le client, de belles bouteilles de vin, les meilleurs produits, un service aux petits soins et une place laissée aux toquades des clients : c’est ça, l’âme du Taillevent”, explique Giuliano.
On peut ici manger à la carte. On peut aussi opter pour le menu “Héritage” où l’on retrouve des plats iconiques du restaurant ou encore pour le menu “Gestes”, créé par Giuliano Sperandio, où tout est découpé et servi devant le client, du homard bleu jusqu’à l’indétrônable crêpe Suzette. On peut même choisir de se laisser porter par les inspirations du chef qui allient brillamment des préparations classiques et modernes. Ce jour-là, dans la belle salle à manger refaite à neuf, toute de chêne boisée, il dresse pour nous une entrée qui capture le printemps : une superbe langoustine à la tiédeur érudite, perlée de petits pois crus et accompagnée d’un boudin de langoustine lustré de bisque de langoustine. “Le boudin de crustacés, c’est un best-seller historique du Taillevent des années 70 ! Laurent Gardinier et moi avons absolument tenu à la remettre à la carte”, nous apprend-t-il.
Puis on nous sert un prodigieux thon cru à la sauce matelote, rehaussé de betteraves et de fleurs de pois sous un voile translucide de lard de Bigorre. “Ma passion pour Escoffier a commencé chez Bocuse, lors d’un repas qui est gravé dans ma mémoire”, se confie-t-il tandis qu’il nous verse la sauce.
Enfin, la jeune cheffe pâtissière Emilie Couturier monte une dacquoise à la vanille, crémeux caramel et nougatine escortée d’une variation autour de la fraise (fraises à la chantilly, fraises des bois au jus et sorbet de fraise) dans un dessert où le produit est roi.
Des mets à la simplicité savante, que l’on escorte de vins choisis parmi les 3.000 références et quelque 20.000 bouteilles qui peuplent la cave légendaire du Taillevent. Depuis toujours, le vin y occupe une place de choix ; c’est pourquoi le chef dirige aussi la cuisine du restaurant Les 110 de Taillevent, la seconde enseigne de la maison créée en 2012 qui propose une offre unique d’accords mets et vins. Au total, on peut y déguster 110 combinaisons plat-vin différentes mettant à l’honneur des plats aussi raffinés que gourmands, - vol-au-vent, blanquette de veau, mousse chaude au chocolat… -, et côté vins, des Raveneau, Lefaive, la Grange des Pères ou Clos Rougeard… Cette primauté du vin se prolonge dans les deux Caves de Taillevent qui ont pignon sur rue dans le 8ème et le 16ème arrondissement et recèlent des vins naturels abordables jusqu’à de bien plus onéreux flacons de prestige.
En sortant de table, on a une image nette de ce que pouvait être un restaurant gastronomique avant la Nouvelle Cuisine des années 1970 qui imposa ses menus au long cours, sa miniaturisation des portions et sa dégustation vécue comme une contemplation. Au contraire, au Taillevent, la syntaxe du repas est structurée en entrée, plat et dessert qui est le sujet-verbe-complément de la cuisine française, sa séquence élémentaire. Or aujourd’hui, par un effet de boucle temporelle, les gourmets contemporains sont désireux de boire et de manger de la sorte, de manière plus franche et libre. A cet égard, Le Taillevent s’impose aussi comme restaurant du temps présent.
Aïtor Alfonso
Le Taillevent
Ouvert le lundi soir et du mardi au vendredi, au déjeuner et au dîner
15, rue Lamennais, 75008 Paris
+33 (0)1 44 95 15 01
Crédit photo : Olivier Toggwiler (Bureau Tonic Studio)
* Au sein du restaurant Le Taillevent, les porteurs de Cartes American Express Platinum et Centurion ont accès à des tables pré-réservées, et ce jusqu’en dernière minute.