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IMMERSION
Christophe Pelé au Clarence : l'instinct et l'instant
Janvier 2023
IMMERSION
Christophe Pelé au Clarence : l'instinct et l'instant
Derrière l’avenue Montaigne, dans un hôtel particulier refait à neuf par le prince Robert de Luxembourg, loge le restaurant Le Clarence : un lieu majestueux digne d’un décor d’opéra où brille le cuisinier virtuose Christophe Pelé. Sa haute gastronomie hors du commun qui fait la part belle à l'instantanéité, a été récompensée par deux étoiles Michelin dès sa première année en 2017 et Le Clarence s’impose comme le deuxième restaurant français au classement 50 Best. Rencontre avec ce chef effusif et inspiré, surdoué des accords terre-mer, qui livre une cuisine savante et émouvante — tout en prônant l’amusement à table.
“On ne va pas au restaurant pour manger les rideaux”, d’après une maxime devenue célèbre. Rien n’est moins sûr lorsqu’on entre au restaurant Le Clarence, sis dans l’hôtel particulier du 31, avenue Franklin D. Roosevelt. L’art de vivre à la française atteint ici son point d’orgue, à grands renforts de velours vert, d’épais tapis et de tables en marbre. L’expérience d’un repas au Clarence commence ainsi avec le regard. L’exubérance de style impressionne sans intimider, tant l’accueil y est chaleureux d’emblée, à l’image des canapés enveloppants du grand salon, au deuxième étage, où l’on attend à la chaleur d’un feu de cheminée d’être accompagnés à notre table. Et l’appétit y est attisé par de formidables amuse-bouches : crevettes frites de la tête à la queue, petites gougères et bulots sauce tartare, comme les prémices d’un repas d’exception, signé Christophe Pelé et son équipe.
Pourtant, le choix de ce métier de chef n’a pas été une évidence pour Christophe Pelé : “j’ai commencé à 15 ans, à une époque où la cuisine était encore considérée comme une voix de garage. Pendant 10 ans, j’ai fait cela sans perspective, sans conviction. Et puis, les rencontres ont changé mon regard sur ce métier”. A 25 ans, il arrive à Paris et entre dans le monde exigeant de la haute gastronomie : Le Bristol, Pavillon Ledoyen, Pierre Gagnaire… Il fait ensuite la rencontre de Bruno Cirino, alors chef au Royal Monceau, cuisinier visionnaire qui a fait connaître la gastronomie méditerranéenne à Paris. “Je me suis lié d’affection pour lui. Je l’admirais beaucoup. Il m’a aidé à sortir ce qui était enfoui en moi. À développer un style, aussi, car chez lui tout se faisait à l’instinct : on travaillait une araignée de mer minute, des écrevisses à la seconde ! Une cuisine en direct, de l’instant. Bruno Cirino m’a éclairé : il y avait de la lumière dans ses assiettes.”
Cette approche technique mais fulgurante marque puissamment la cuisine du chef dès l’ouverture de son premier restaurant en propre, La Bigarrade, inauguré en 2007. Il y affiche déjà une intention qui ne l’a jamais quitté depuis : celle de “rendre la gastronomie accessible au plus grand nombre.” Après son départ en 2012 et une brève aventure à Hong Kong, il est mis en relation avec le prince de Luxembourg, arrière-petit-fils de Clarence Dillon et propriétaire du Château Haut-Brion, qui cherche un chef pour son monumental projet parisien destiné à devenir le Clarence.
Fin 2014, Christophe Pelé visite le chantier qui lui paraît immense, voire démesuré. Puis son caractère intrépide et une rencontre avec le prince, sincère admirateur de son talent, finissent de le convaincre. “Alors je me jette dans l’aventure à fond”, commente-t-il. Très vite, il imagine placer le classicisme culinaire qu’il connaît bien au service d’une offre de restauration originale, pleine d’allant, sans menu écrit ni raideurs. Le Clarence scelle l’alliance insolite et réussie de sa gastronomie contemporaine avec le faste 19ème des lieux, “à l’image de ces opéras classiques mis en scène de manière très moderne”, précise-t-il. “Ce mélange des genres, ce lâcher-prise m’émeuvent.”
Au Clarence, il joue avec les matières premières les plus nobles sans abandonner son idéal d’accessibilité (avec un menu déjeuner dès 110 euros) ni son goût marqué pour les accords terre-mer inspirés qui jalonnent le grand menu à l’aveugle. Par exemple, ce jour-là, parmi les vingt-cinq envois, il y a cette précieuse pièce de caille à la tempura d’encre de seiche, assaisonnée d’anchois à l’huile, câpres, salade roquette et truffe, le tout mis en lumière par un éblouissant jus de caille. Plus tard, arrive cet angélique rouget marié à de la cervelle de veau, du caviar et une fleur de capucine et, gravitant autour, un plat satellite de chips de pain, huître pochée, os à moelle et sauce chiu chow (NDLR : huile au piment chinoise).
Dans la ribambelle des desserts, se succèdent une tartelette de parfait au marron glacé, pâte de chinotto (NDLR : petit agrume amer), chantilly à la clémentine et karashi, une moutarde japonaise ; une poire confite et farcie aux crémeux de sakura (NDLR : cerisier japonais), réglisse, consommé de poire à la badiane et huile d’Argan et enfin un croustillant de sarrasin, crème crue et glacée avec levure et noix de pécan qui conclut un repas de trois heures d’une profonde légèreté.
Souvent, le chef choisit un produit et en propose diverses facettes, au point que les plats se multiplient sur la table à la manière d’un joyeux banquet : “J’adore les mezzes libanais avec ces tables pleines d’assiettes, c’est festif, c’est joyeux ! L’ennui à table, il n’y a rien de pire pour un cuisinier !” (rires).
Le Clarence est aussi particulièrement lié au monde du vin et notamment à celui, légendaire, du Château Haut-Brion dans le Bordelais dont le Prince du Luxembourg est l’héritier. Mais la jeune sommelière Audrey Brugière, sert aussi des boissons plus inattendues comme le chasselas alpin par Damien Bastian Goddard, le poiré de Cyprien Lireux ou la liqueur d’abricot de Jean-Marc Roulot, venant clore ce repas qui laisse rêveur.
Car les assiettes de Christophe Pelé sont toujours vibrantes. Lui qui affirme qu’il n’y a pas de petite cuisine et qu’on peut aussi s’amuser en mangeant un sandwich, pratique une très grande cuisine qui ne renonce pas à cette joie souveraine d’être attablé. “Son talent, c’est la simplicité dans l’apparat”, nous a dit avec pertinence le chef Florent Ciccoli qui s’est rendu au Clarence quelques jours avant notre visite. Christophe Pelé compose ainsi des plats construits et limpides qui combinent trois éléments, parfois quatre ou cinq mais guère plus. “Quand tu débutes, tu en rajoutes tout le temps, tu en mets trop. Pourquoi ? Pour cacher ton insécurité. Et avec le temps, tu apprends à en mettre moins : tu apprends à en mettre moins mais à le faire mieux.” Cette quête de justesse et de mesure fait d’un repas au Clarence une expérience tout à fait inoubliable.
Aïtor Alfonso
Le Clarence
Ouvert le mardi, au dîner et du mercredi au samedi, au déjeuner et au dîner
31, avenue Franklin Delano Roosevelt, 75008 Paris
+33 (0)1 82 82 10 10
https://www.le-clarence.paris/
Crédit photo : Olivier Toggwiler (Bureau Tonic Studio)