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IMMERSION
Carboni's
ou la métamorphose
d'un restaurant
Décembre 2021
IMMERSION
Carboni's ou la métamorphose d'un restaurant
Avec ses grandes vitrines et sa façade en pierre taillée, Carbón s’attirait les faveurs des touristes de passage et des gens du quartier. En plein cœur du Marais, cette adresse dénotait dans le paysage culinaire parisien par sa promesse insolite : celle de proposer une cuisine gastronomique aux accents sauvages marquée par la cuisson au feu de bois. Mais un grave incendie et quelques confinements plus tard, l’enseigne au nom espagnol a changé de rivage et adopté l’accent italo-américain — sans rien perdre de son tour de main. De Carbón à Carboni’s*, itinéraire d’un phénix nourricier.
Longtemps, les lumières de Carbón sont restées éteintes. Pourtant, en cette fin d’automne, quelque chose a changé. En jetant un œil par la fenêtre, sur des tables en marbre où le couvert a été dressé, on distingue des bouquets de tulipes roses. Les anciennes appliques murales ont laissé la place à des luminaires au style vintage, presque intemporel. Sur la vitre teintée de la porte d’entrée, l’enseigne de « Carbón » est toujours là, peinte en lettres dorées – mais deux lettres ont été ajoutées en blanc à la main et forment désormais le mot « Carboni’s ». À l’intérieur, la carte affiche des plats aux accents italiens : « Arancini au cime di rapa, provolone fumé, sauce ail noir », « Vitello tonnato », « Lasagnes traditionnelles à partager ». En préambule, sur le recto de la carte, on découvre ces quelques mots : « Carboni’s célèbre nos racines et notre héritage italien. Carboni’s est un hommage à tout ce qui respire l’Italie. »
« On est encore en train de faire quelques petits ajustements, mais on rouvre enfin ce soir : tout est prêt ! s’exclame Sabrina Goldin, co-fondatrice du restaurant avec Stéphane Abby. On a travaillé d’arrache-pied avec nos équipes pour monter ce nouveau projet et lui donner du sens. » Pour ce couple d’entrepreneurs associés au travail comme à la ville, l’ouverture de Carboni’s, en lieu et place de Carbón, est le point de départ d’une nouvelle aventure. « En presque deux ans de fermeture, comme tous les restaurateurs, on a connu quelques moments difficiles, rembobine Sabrina. On s’est longtemps posé la question de rouvrir Carbón comme on l’avait laissé, mais l’énergie qui nous portait avait changé. » Il faut dire que la trajectoire de Carbón n’a pas toujours été simple. Un an après l’ouverture, en 2017, le restaurant connaissait une première longue fermeture de 7 mois, suite à un incendie. À l’époque déjà, le duo s’était démené et Carbón avait vécu hors les murs sous forme de pop-up, l’espace de quelques mois. Alors, quand le confinement est annoncé, début 2020, les deux patrons sont un peu rodés.
Sabrina, qui est Argentine avec aussi des origines italiennes, a le réflexe d’observer ce que les restaurateurs ont mis en place outre-Atlantique et dans les pays déjà touchés par la pandémie. Elle a ainsi une idée : « J’ai remarqué que le « take out » se développait beaucoup. On a tout de suite mis ce modèle en place : on a enlevé toutes les tables et on a transformé Carbón en vrai petit marché de proximité. On a collaboré avec l’épicerie Zingam et le réseau d’agriculteurs C’Juste pour proposer des fruits et légumes en provenance de petits producteurs ; on a fait venir le pain et les viennoiseries de la boulangerie Sain ; on a ouvert notre propre cave à vins ; on a mis en place une offre de restauration plus resserrée et adaptée à la vente à emporter. » Le plan B mis en place trouve son public, permet au restaurant de survivre, mais pour Sabrina et Stéphane il manque l’essentiel : la vie du service et le dynamisme de la salle.
« On savait que notre clientèle nous attendait ailleurs et on avait besoin de se reconnecter avec eux, de façon différente, raconte Stéphane Abby. Alors on s’est dit que c’était le bon moment pour lancer ce concept de restaurant italien moderne auquel on pensait depuis des années. » Sabrina et Stéphane commencent alors à poser les bases. D’abord, une ambiance intemporelle et universelle : celle d’un certain chic à l’italienne, le tout dans un esprit convivial et décontracté. Carboni’s sera la synthèse de leur trattoria rêvée : « Un restaurant aux influences italo-américaines, à mi-chemin entre le luxe feutré du Caffè Florian, à Venise, et la patine des vieux restaurants italiens de Little Italy, à New-York. Ces endroits très pensés, mais dans lesquels on peut venir profiter de l’instant présent, le temps d’un repas. » Le couple commence à construire un univers et se met en quête des éléments de décor. Ils font venir du marbre jaune italien pour habiller les tables ; Stéphane commande un juke-box Marshall sur-mesure pour habiller le futur bar à vermouths qui prendra place au sous-sol. Entre autres. Ensemble, ils repensent la direction artistique : Carbón était un restaurant brut, cérébral et tellurique ; Carboni’s sera lumineux, vivant et bariolé. Un joyeux refuge qui proposera aussi une offre cocktail, un aperitivo comme à Turin et sera augmenté d’un laboratoire de pâtes fraîches.
En salle comme en cuisine, Carboni’s trouve son tempo. Ses propriétaires veulent rendre hommage à la cuisine italienne dans ce qu’elle a de plus classique et réconfortante, mais aussi réussir à la « remixer » en lui faisant faire un pas de côté. Pour cela, ils se mettent en quête d’un jeune chef capable de porter haut et fort les valeurs de générosité et de partage de leur nouveau restaurant. Un soir, ils appellent leur ami Riccardo Marcon, propriétaire du restaurant Barabba à Copenhague. Lequel leur parle de Matteo Bartolini, l’un de ses anciens sous-chef, originaire de Toscane, et passé par le 108, le bistro du célèbre restaurant Noma de René Redzépi. Matteo a de l’expérience, une certaine vision : le courant passe tout de suite et pour Sabrina et Stéphane, c’est décidé, l’aventure Carboni’s se fera avec lui.
« Le projet de Stéphane et Sabrina m’a tout de suite séduit. C’est un challenge très excitant pour moi parce qu’il s’agit de coller au plus près à leur sensibilité, tout en ayant une grande marge de liberté, explique le chef de 34 ans, entre deux mises en place pour le premier service du soir. L’idée, c’est de jouer avec les grands classiques des restaurants italiens des années 1980 mais en ajoutant une touche contemporaine. Pour apporter ce petit supplément d’âme, j’utilise des techniques modernes – comme le sous-vide, les émulsions ou les cuissons à basse température – et je substitue certains aliments présents dans les recettes traditionnelles avec d’autres éléments plus actuels – comme l’algue kombu ou le raifort – et plus en phase avec mes inspirations. » Sur le passe défilent quelques plats inspirants : en guise de snack, des petits toasts de foie de volaille délicieusement parfumés à la poudre de laitue de mer ; en primo piatto, un tartare de bœuf, émulsion d’anchois, parsemé de châtaignes et recouvert d’une jolie écaille de chips de pomme de terre frits ; en secondo piatto, un plat généreux de lasagnes à la farce de bœuf, de porc et de béchamel ; et pour le dessert, un affogato remanié dans lequel la boule de glace vanille a été remplacée par de la glace au kombu. En, somme, le classique et le moderne, réunis dans une synthèse gourmande !
Un soir de la fin 2021, Carboni’s a levé le rideau, bien décidé à obtenir à nouveau les faveurs des touristes de passage, des gens du quartier et des gastronomes éclairés.
Léo Bourdin
Carboni’s
Ouvert du mardi au samedi, au dîner uniquement
45, rue de Poitou
75003 Paris
(+)33 (0)1 42 72 49 12
Crédit photo : Puxan Photo
* Carboni's est partenaire d’American Express et membre de la Dining Collection. L’ambition de ce programme : faciliter l’accès aux meilleurs restaurants contemporains au travers de tables exclusivement pré-réservées à l’attention des porteurs de Cartes Premium American Express.