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IMMERSION
Sebastien Tantot à L'Auberge A La Bonne Idée : la cuisine corps et âme
Mai 2023
IMMERSION
Sébastien Tantot à L'Auberge A La Bonne Idée : la cuisine corps et âme
A une heure au nord de Paris, dans le village de Saint-Jean-aux-Bois, se trouve le lieu de pèlerinage gastronomique le plus singulier du moment. Sébastien Tantot, jeune cuisinier météoritique, a redoré le blason de cette auberge tout droit sortie des années 1950 pour y composer une cuisine personnelle, sentimentale et illuminée, récompensée d’une étoile au guide Michelin. Rencontre avec celui qui se donne corps et âme à son métier, au point de toucher à une forme de mysticisme par la cuisine.
Un temps, pendant la Révolution française, les habitants de ce village de l’Oise se sont appelés les Solitaires. Un gentilé qui sied bien à Sébastien Tantot, dont on perçoit d’emblée qu’il est traversé par une forme de mélancolie créative. Le natif du Nord ne pensait pas revenir aussi vite dans sa région d’origine après sa longue expérience marseillaise. Mais la rencontre avec cette grande bâtisse adossée à un parc arboré où coule une vieille fontaine a précipité son retour : “j’ai été comme magnétisé par les esprits de cette auberge qui grince. C’est une demeure habitée, qui vit”.
Le restaurant idéal de Sébastien Tantot est plus qu’un lieu où l’on sert à manger : c’est une véritable maison, un lieu de vie dont on franchit le seuil comme on entre dans un nouveau monde. “Je voulais un établissement comme celui des Guérard, Troisgros ou Roellinger. Une maison à taille humaine propice au recueillement, au calme”, explique-t-il.
De l’ancien relais de chasse, le chef a gardé la douce rusticité des boiseries et des tapisseries, des poutres et de la pierre. Et, bien sûr, le vaste foyer de cheminée qui crépite en salle. Pour projeter l’auberge dans la modernité, il a fait installer un poulailler, une ruche, un potager, un herbier et vingt-et-une chambres qui ne désemplissent pas. Car quand on vient ici, c’est pour s’astreindre à une forme de lenteur bienheureuse.
Avec un sourire espiègle, Sébastien Tantot ajoute qu’il s’est offert une cuisine immense où trône son fourneau rutilant. Une grande salle comme un loft, éclairée à la lumière naturelle, où les cuisiniers peuvent circuler librement. La salle à manger, elle, nous transporte dans un passé onirique. “Je veux que mon restaurant soit chaleureux, avec des tables à double nappage, des chandeliers, des fleurs fraîches et un plateau à fromages en argent ”. Une grammaire du service qui permet au chef de construire son menu comme un poème intime et sensible. “Je cuisine dans la sincérité absolue et j’aimerais que mes clients soient touchés par mes plats, qu’ils sentent qu’ils viennent du cœur”, avoue-t-il.
La grâce surannée du décor n’est pas dénuée de kitsch assumé et d’humour latent. Le menu imprimé sur parchemin est ainsi enroulé dans un rond de serviette argenté en hommage au Seigneur des anneaux, référence littéraire qui jalonne le grand menu dégustation intitulé “Le Cordial”. Autant de détails qui donnent à cette massive maison paysanne une légèreté qui frôle par moments l’évanescence, comme si elle était sur le point de s’évaporer au-dessus des bois.
En cette saison, le repas commence par un bouillon qui affirme l’identité rurale du logis : une géniale extraction de pâté de campagne, satinée et enrobante comme une accolade de bienvenue. L’idée de ce consommé mijoté pendant 17 heures à 86 degrés, lui a été soufflée par Yannick Alléno, confesse-t-il. “Je suis très fier que l’Auberge soit devenue un lieu prisé par les équipes des grands restaurants, comme ceux de Guy Savoy ou d’Eric Fréchon, qui viennent y faire leur repas d’équipe. Que ma cuisine soit appréciée par mes pairs, c’est une belle reconnaissance.”
Puis arrivent deux plats emblématiques du chef : d’abord, le diaphane de grenouille, dont les cuisses ont été patiemment étalées pour en obtenir une fine feuille translucide, ensuite le vitrail de sandre.
En entrée, la Saint-Jacques dite “chevalière” - car elle évoque un heaume à la découpe -, est assaisonnée de noix de muscade, de bergamote et de foie de Saint-Jacques râpé qui lui donne une touche animale. S’ensuit une chimère de chevreuil et d’anguille portant le nom amusant de “cheguille”. Le filet de venaison est rôti sur un filet d’anguille, garni de lamelles de truffe, entouré de crépine et délicatement fini à la cheminée. La sauce qui l’accompagne brille comme un outrenoire de Soulages : un pétrole de champignons très corsé qui donne au plat des profondeurs de sous-bois et un reflet ténébreux, comme si l’ombre et la lumière s’unissaient dans l’assiette.
L’envoi de poisson est un “rouget sol d’automne” qui évoque un tapis de forêt à la saison fraîche. Soit un filet de rouget de Noirmoutier cuit sur une feuille de langoustine comme un filigrane de la mer tout en transparence rougeoyante, rehaussé de poutargue, sumac, citron saumuré et feuilles de câpres. Là aussi, le plat est galvanisé par une bisque de pomme de terre au foie de rouget, très puissante car Sébastien Tantot aime jouer avec la limite dans la saturation des saveurs.
En guise de dessert, le chef laisse libre cours à son goût pour la haute couture et le textile avec son dessert iconique, pensé comme le souvenir d’une robe de mariée. Ce froufrou spectaculaire est un cristallin au sucre de bouleau soufflé minute, recouvrant une pâte d’herbes potagère vivifiée d’un sorbet de cédrat, aloe vera et citron caviar. Une pièce forte qui vient clore un repas d’une créativité ébouriffante.
“Dans un restaurant comme le mien, les émotions changent avec l’humeur de celles et ceux qui cuisinent. Je tiens à ce que ma table soit évolutive, vibrante et vivante”, affirme Sébastien Tantot. Et la presse ne s’y trompe pas, elle qui déferle depuis des mois dans cette enseigne devenue incontournable.
N’exagérons pas la dimension solitaire du personnage car derrière l’Auberge A La Bonne Idée, il y a une équipe, voire une confrérie. Au total, une vingtaine de personnes de neuf nationalités logent sur place - dont les parents du chef qui l’aident à la plonge. Chaque personne qui vient travailler ici doit mettre une plante en terre à son arrivée afin d’habiter symboliquement les lieux. Il y a Grégoire qui, depuis neuf ans, est son second en cuisine et son meilleur ami ; Perle, la cheffe pâtissière ; Manon, la responsable des fromages et fan de l'œuvre de Tolkien ; Anthony, le chef sommelier qui est en train de lancer une cave à saké. “Tout ce qu’on fait ici est viscéral, l’investissement est total”, insiste le chef.
Sébastien Tantot, l’abbé de son auberge ? Il y a de cela dans son envie de n’avoir pas que de simples employés autour de lui mais les membres d’une communauté culinaire. Dans les mois à venir, il aimerait rendre ses chambres d’hôtel plus confortables, parfaire le jeu de lumières en salle et organiser une exposition sur la transparence en cuisine. Cette fascination qui est la sienne pour le diaphane est nourrie par ses longues heures de contemplation des vitraux de l’abbaye du village où il trouve la paix intérieure. “La lumière qui y passe favorise l’ouverture du regard ; c’est une métaphore du goût de la vie. Pour moi, la cuisine est comme un médicament pour le corps et l’âme. Si conduire des bus me procurait le même bonheur, je serais chauffeur de bus.” Fort heureusement, Sébastien Tantot excelle en cuisine et invente à Saint-Jean-aux-Bois un univers gastronomique que l'on n'avait jamais exploré avant.
Aïtor Alfonso
L’Auberge A La Bonne Idée
Ouvert du mercredi au samedi, au déjeuner et au dîner ; le dimanche, au déjeuner
3, rue des Meuniers,60350 Saint-Jean-aux-Bois
+33 (0)3 44 42 84 09
https://sebastien-tantot.com/fr/restaurant-gastronomique-l-auberge-a-la-bonne-idee
Crédit photo : Olivier Toggwiler (Bureau Tonic Studio)