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L'Astrance :
détour aux sources
Octobre 2023
Après vingt ans de services inoubliables dans l’espace exigu de L’Astrance, rue Beethoven, Pascal Barbot et Christophe Rohat ont décidé de déménager dans un restaurant plus grand : rue de Longchamp, ils poursuivent leur aventure en ayant les coudées franches, avec un net surcroît de confort mais sans rien perdre de l’alchimie qui fait de ce duo l’un des plus marquants de la cuisine française contemporaine. Visite guidée de cet Astrance 2 tant attendu.
La taille de leur restaurant était inversement proportionnelle à sa stature. L’Astrance, ouvert en l’an 2000 rue Beethoven dans le 16ème arrondissement, a marqué la cuisine de son siècle de sa fulgurante modernité. “Pendant 20 ans, j’ai travaillé à l’étroit dans une cuisine de 16m2 qui nous obligeait, mes équipes et moi, à nous adapter sans cesse. En salle, Christophe Rohat ne pouvait accueillir que 25 personnes maximum par service. On n’avait pas la place d’avoir un poste de pâtisserie et même le ballon d’eau chaude était trop petit pour faire toute la vaisselle d’un service !”, se souvient-il, tout sourire. Une exiguïté qui n’a pas empêché les deux alliés de décrocher leur troisième étoile Michelin en 2007. Malgré une reconnaissance internationale et une clientèle fidèle, l’envie de déménager dans un local plus spacieux faisait son chemin depuis des années.
Une pandémie et quelques retards de travaux plus tard, les voici installés entre les murs du 32 rue de Longchamp, qui fut jadis le restaurant Jamin de Joël Robuchon. En entrant, se déploie une vaste salle claire et organique, prolongée d’une cuisine baignée de lumière où reluit un impressionnant fourneau conçu sur mesure. “Je voulais plus de confort pour mes clients mais aussi pour mes équipes, le tout dans un décor fait de matériaux vivants : du chêne massif au sol travaillé par une entreprise éco-responsable française, de la chaux minérale qui respire au mur et de la pierre de lave. On fait même pousser de jeunes plants d’arbre dans le restaurant. Ma cuisine ressemble à ce décor”, affirme le chef. Avec, en bonus, un salon à l’étage (nommé Joël en hommage à Robuchon) qui s’apparente à un restaurant miniature, privatisable pour des repas de fêtes ou d’affaires: “au fond, le salon Joël à l’étage, c’est un mini Astrance, celui de la rue Beethoven, qui perdure !”, s’amuse-t-il.
Pascal Barbot a été le précurseur de tendances fortes dans la gastronomie contemporaine : la végétalisation accrue des plats, l’usage proprement culinaire - et pas seulement décoratif - des fleurs et herbes sauvages, la réduction du sel dans les préparations au profit d’une condimentation plus subtile à base d’agrumes ou de piment, l’influence de la précision japonaise dans la cuisine française… Au point qu’il a réussi à inventer un style propre, une patte Barbot. “L’identité d’un chef commence par son réseau de fournisseurs et de producteurs. Sans la centaine de maraîchers, pêcheurs, éleveurs avec qui je travaille aujourd’hui, je ne serais pas grand-chose. Ma cuisine est le fruit de mes rencontres et de mes voyages”, objecte-t-il.
Du buron auvergnat perdu dans la montagne où il a commencé la cuisine et la cueillette, jusqu’aux marchés de Nouvelle-Calédonie et d’Indonésie où il a découvert l’ananas, la papaye, la goyave ou le piment en passant par le Londres bouillonnant des années 90 et jusqu’au Japon où il a touché du doigt un certain sens de la pureté en cuisine, Pascal Barbot est un cuisinier voyageur. C’est à l’Arpège d’Alain Passard qu’il rencontre Christophe Rohat en 1995. Depuis, leur alliance est indéfectible. Et quand on lui demande comment on fait pour travailler à deux dans un local si petit pendant 20 ans sans se marcher sur les pieds, il répond : “la salle et la cuisine sont différentes mais complémentaires. Chacun a son espace et on travaille en bonne entente. Christophe me transmet les attentes des clients pendant le service : il est le messager de la salle”, formule joliment le chef.
Au menu ou à la carte, l’Astrance 2 affiche les grands préceptes de la cuisine de Pascal Barbot. A commencer par une dévotion portée à la matière première : “tous les produits sont égaux pour moi. Un bel oignon, c’est exceptionnel ! Les petits pois en saison ou une botte de carottes nouvelles, c’est merveilleux. Le maquereau, le chinchard, le mulet, le maigre sont des produits d’exception”, s’émeut-il. Dans le menu déjeuner à 125 euros, ce jour-là, arrive pour démarrer un condensé de plateau de fruits de mer : colossal bulot surmonté de mayonnaise aux algues confites du producteur Jean-Marie Pédron ; belle huître condimentée d’échalote, vinaigre et tige de capucine ; praire électrisée au jus d’agrumes infusé à l’ail et au piment. Ensuite, est servie une asperge blanche de Sylvain Hérard, attendrie à la vapeur et agrémentée de copeaux d’asperge laqués, posée sur un coulis d’amande au safran et poudre d’orange.
Plus loin, en pré-dessert salin, est servi un fromage cuisiné : une neige de bleu d’Auvergne vivifiée d’un sorbet au persil et à la fraise. Dans le déroulé de son menu, le chef combine des plats tout en épure tels que son maquereau mariné au miso, beurre blanc, navet cru, agrume et riz koshihikari, et des mets plus gaillards comme la côte de veau aux morilles ou la tourte de canard. De puissants contrastes culinaires qui ont valu au duo une étoile Michelin dès la première année de réouverture.
L’autre valeur ajoutée de cet Astrance nouveau, c’est l’immense cave à vins, véritable caverne aux trésors où nichent de grandes bouteilles de vin naturel, patiemment collectées par le tandem depuis deux décennies. De quoi ravir à nouveau la clientèle restée fidèle - et qui attendait ce retour depuis trois longues années -, tout comme celle qui ne connaît pas encore cette conviviale institution. De quoi continuer aussi son œuvre de formation car Pascal Barbot a été le maître en cuisine d’une jeune génération de cheffes de grand talent : Manon Fleury (Datil), Chloé Charles (Lago) ou Adeline Grattard (Yam’Tcha), entre autres. Et quand on lui demande ce qui fait la patte Barbot, ce qui fait école à l’Astrance, il répète, convaincu : “une seule chose : l’idée que le producteur est plus important que le cuisinier”. Pour Pascal Barbot et Christophe Rohat, il ne fait aucun doute que la gastronomie est une aventure collective.
Aïtor Alfonso
L’Astrance
Ouvert du lundi au vendredi, au déjeuner et au dîner
32, rue de Longchamp, 75116 Paris
+33 (0)1 40 50 84 40
Crédit photo : Olivier Toggwiler (Bureau Tonic Studio)