Rares sont les restaurants dans lesquels on porte autant d’attention au plat qui nous est servi qu’au décor qui nous entoure. Daroco est de ces adresses où, contrairement à ce que disait Henri Gault, cofondateur du guide Gault et Millau, on vient aussi pour “manger les rideaux”. Car depuis dix ans, les enseignes d’inspiration italienne d’Alexandre Giesbert et Julien Ross se détachent dans le paysage parisien comme de hauts lieux de la décoration contemporaine de restaurants, au charme grandiose et raffiné. Le duo de restaurateurs nous a reçus dans sa trattoria emblématique de la rue Vivienne, chez Daroco Bourse*, pour un long entretien – à voir et à manger. 

Bonjour Alexandre et Julien, merci de nous recevoir chez Daroco. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce lieu ?

Alexandre Giesbert : Daroco, c’est d’abord l’histoire de notre rencontre avec Julien, au début des années 2010, alors qu’on travaillait tous les deux dans le même petit restaurant du Marais. J’étais en cuisine, Julien en salle : on s’est liés d’amitié et rapidement, on a monté ensemble nos deux premiers projets : Roca, un bistrot dans le 17ème arrondissement, et Roco, une petite pizzeria de quartier. Roco, c’était un endroit où l’on pouvait venir manger une pizza sans prétention, dans un cadre convivial et détendu.

Julien Ross : Mais on manquait vraiment d’espace chez Roco… C’était un tout petit local et on avait envie d’ouvrir une vraie grande trattoria. Au même moment, nous avons appris que le propriétaire de la boutique de Jean-Paul Gaultier cherchait des repreneurs pour transformer ce lieu historique de la Galerie Vivienne en un restaurant. On a trouvé l’idée géniale et on s’est dit que c’était l’occasion idéale d’y installer ce qui est devenu Daroco.

À quoi ressemblait le chantier, avant l’ouverture de Daroco, en 2016 ?

A.G : L’espace était assez vétuste, mais la hauteur de plafond était incroyable. Tout était entièrement peint en blanc et il y avait un grand double escalier, dans le fond, designé par Philippe Starck. Il fallait beaucoup d’imagination pour réussir à se projeter dans un lieu de restauration, mais c’est un challenge qui nous a inspirés.

J.R : On a fait appel aux duos d’architectes Olivier Delannoy et Francesca Errico pour imaginer les plans, et on a sollicité Supakitch, un ami tatoueur et artiste, pour réfléchir à la direction artistique. La chance que l’on a eue, c’est que le prix de reprise du lieu était plutôt bas donc on a pu mettre un budget conséquent sur les travaux et la décoration.

Quelle a été la ligne directrice que vous avez suivie en termes d’aménagement et de décoration ?

A.G : Pour commencer, on voulait proposer une expérience globale, à la fois simple et accueillante. On a donc travaillé avec des matériaux chaleureux comme le marbre et le bois. Ensuite, on s’est imposé une contrainte : au-delà de l’aspect esthétique, tous les éléments de décor devaient avoir une réelle fonction utilitaire. Deux exemples : les grands rideaux qui habillent les vitres du sol au plafond servent, visuellement, à épurer l’espace et à le rendre plus chaleureux. Ils sont faits dans une matière qui permet aussi d’insonoriser la salle et de lui donner une meilleure acoustique. Et puis il y a ces grands ficus que l’on a installés dans des vases géants, contre les murs. Ils jouent un vrai rôle d’habillage de l’espace en plus d’apporter de la couleur et de la lumière. Mais ils permettent aussi de faire respirer la salle, littéralement.

Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur ce fameux miroir qui court sur tout le plafond – et qui a fait le tour des réseaux sociaux ?

A.G : C’est l’un des éléments de décor emblématiques de Daroco ! C’est pourtant toujours délicat d’installer un miroir de plafond dans un restaurant car cela offre une vue directe sur ses voisins. Mais quand on est assis à table et qu’on lève la tête, la vue en contre-plongée est incroyable et cela donne une vraie profondeur à la salle. Nos clients adorent ce miroir et se prennent souvent en photo dessous : il a été partagé plus de 50 000 fois sur Instagram ! Nous jouons d’ailleurs également avec les miroirs dans notre seconde adresse, Daroco 16*.

Des tables au sol, en passant par le bar, il y a aussi cette omniprésence du marbre…

A.G : Oui, c’est un vrai parti-pris. Tout a été fait sur mesure à partir de grosses tranches de marbre de Carrare – une manière de tisser un lien avec l’Italie et la cuisine que l’on sert ici. Le sol est en terrazzo : il est constitué de tout un ensemble de petits fragments de marbre très fins, de différentes couleurs et nuances, qui ont été agglomérés avec du ciment. On voulait qu’il y ait volontairement quelques irrégularités dans la façon dont les pièces de marbres sont disposées, alors on les a réparties nous-mêmes : cela donne un vrai dynamisme à l’ensemble.

L’aspect design et décoration joue un rôle très important dans l’habillage de vos restaurants. Où puisez-vous toutes vos inspirations ?

A.G : Avec Julien, on partage une même passion pour les antiquaires et les brocantes. Je passe beaucoup de temps au Marché Paul Bert Serpette, à Saint-Ouen, ou dans les vides-greniers, le week-end. J’éprouve un vrai plaisir personnel à chiner des objets ou des meubles pour mon propre intérieur ; c’est quelque chose qui me suit jusque dans nos restaurants.

J.R : Je lis énormément de magazines spécialisés et je prends aussi pas mal de notes quand je vais dans d’autres restaurants : je porte de l’attention aux petits détails, à la lumière, au mobilier… C’est en me mettant à la place des clients que je parviens à apporter de la nouveauté et une certaine fraîcheur à la décoration de nos adresses.

Plus on regarde autour de soi, plus on découvre que tout est une histoire de détails, chez Daroco. Quels sont ceux sur lesquels vous avez travaillé récemment ?

J.R : Nous avons entre autres choses repensé la vaisselle. Au début, on avait fait le choix d’avoir des assiettes aux couleurs très vives, mais on s’est rendu compte que cela ne correspondait pas forcément au type de cuisine que l’on servait. Aujourd’hui, on utilise la ligne “Piet Boon” de chez Serax : on est revenu à une vaisselle blanche, très épurée et haut de gamme qui met parfaitement en valeur nos aperitivi, antipasti, pizzas et autres plats de pâtes aux couleurs vives.

Finalement, on est assez loin de la décoration que l’on trouve dans un restaurant italien traditionnel…

A.G : C’était une vraie volonté de notre part. On ne voulait surtout pas s’enfermer dans les clichés du restaurant italien, avec les jambons qui pendent au plafond et les grosses meules de Parmesan sur le comptoir.

J.R : On pense que le restaurant italien d’aujourd’hui, c’est aussi un restaurant qui doit s’inscrire dans la modernité. Il y avait cet enjeu de proposer quelque chose d’à la fois chic et raffiné – tout en laissant la place à quelques marqueurs de la pizzeria. En entrant, la première chose que l’on voit, c’est cette grande cuisine ouverte avec son four à bois traditionnel napolitain. La cuisine, au même titre que la décoration, fait partie du spectacle et de l’expérience.

Léo Bourdin

Daroco Bourse

Ouvert tous les jours, de midi à minuit

6, rue Vivienne

75002 Paris

(+)33 (0)1 42 21 93 71

https://www.daroco.fr

Daroco 16

Ouvert tous les jours, de midi à 23h

3, place Clément Ader

75016 Paris

(+)33 (0)1 44 14 91 91

https://www.daroco.fr

Crédit photo : Puxan Photo