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Racines : et Simone Tondo inventa la bistrosteria
Novembre 2021
CONVERSATIONS
Racines : et Simone Tondo inventa la bistrosteria
On l’a découvert chez Rino avec Giovanni Passerini, consacré chez Roseval, perdu dans son restaurant éponyme puis retrouvé en majesté chez Racines. Simone Tondo, chef italien aussi doué que chaleureux, est revenu à ses premières amours culinaires dans cette joyeuse cantine de style nichée dans l’un des plus beaux bistrots de la capitale, au cœur du Passage des Panoramas. Passée la devanture au cachet d’antan, on foule le magnifique sol de mosaïque typiquement parisien pour savourer des assiettes solaires à l’italianité affirmée. Rencontre au long cours avec le divin Sarde qui inventa la “bistrosteria”, cette union heureuse du bistrot et de l’osteria.
Revenons en enfance. Manger, cuisiner, passer à table, cela a toujours été important dans votre famille quand vous étiez petit ?
Les repas structuraient nos journées. Ma mère m'a eu très jeune et, à ses côtés, mes grands-parents ont assumé une bonne partie de mon éducation. Ils étaient tous deux profs d’art et tenaient aussi un studio de design d’intérieur. C’étaient des gens très soignés, très précis alors le déjeuner prenait souvent des allures de petite cérémonie. Et quand on recevait du monde, on sortait les nappes et la belle vaisselle : il fallait que ça ait de l’allure ! Leur déformation professionnelle a été une inspiration dès l’enfance pour moi ; ce rapport méticuleux aux arts de la table m’a marqué.
Que cuisinait-on chez les Tondo à l’époque ?
C’est ma grand-mère qui officiait. Elle faisait une cuisine légère, pas vraiment les mijotés traditionnels et paysans de Sardaigne : on ne cuisinait pas du ragoût de brebis tous les week-ends (rires). Par exemple, elle préparait souvent une entrée typique des années 90 : la salade orange-fenouil. Et aussi du vitello tonnato de temps en temps : ce plat du Nord de l’Italie est devenu l’un de mes plats fétiches chez Racines.
Vos grands-parents étaient connectés à la cuisine de leur époque.
Oui, ils étaient plutôt adeptes d’une cuisine moderne, simple et cosmopolite, même s’ils n’oubliaient pas d’où ils venaient : tous les vendredis, on mangeait du chou-fleur car c’est le seul légume que mon grand-père se mettait sous la dent dans le Sardaigne d’après-guerre où il avait grandi, quand les temps étaient durs. Ce légume du semainier était un souvenir du passé.
Quel est le plat inoubliable de votre grand-mère ?
Sans hésiter, l’œuf au plat et sauce tomate, sur une base d’ail et d’huile qui est restée ma marque de fabrique, encore aujourd’hui. Là où mes amis cuisiniers toscans ou romains à Paris mettent du mirepoix dans leur fond de poêle [NDLR : une préparation à base d'oignons, carottes, céleri et aromates], moi j’ai gardé cette base du Sud, modeste et sentimentale.
Quelle est l’identité culinaire de la Sardaigne, votre île ? Et cette identité est-elle la vôtre ?
Il y a bien une cuisine sarde tiraillée entre la mer et la terre et c’est vrai aussi que depuis Roseval, le bistrot moderne que j’ai tenu à partir de 2013 à Ménilmontant, je suis très attaché à cet accord du terrestre et du maritime. Mais mon identité est plutôt la synthèse de toutes les choses que j’ai vues un peu partout : ce n’est pas vraiment ou pas seulement celle de la Sardaigne.
Où avez-vous fait vos armes en cuisine ?
J’ai rencontré la cuisine à 14 ans en rentrant à l’internat de l’école hôtelière d’Alghero située dans un magnifique bâtiment blanc face à la mer avec une vue prodigieuse. J’y ai appris les métiers de la salle, de la réception et de la cuisine. J’ai aussi fait mes premiers stages dans le meilleur resto de la ville, chez Cristiano Andreini, qui a été formé dans la même école hôtelière que moi. Andreini a mis la barre très haut en Sardaigne : il proposait une cuisine de contrastes et d’inspiration avec un sens de l’improvisation unique. Il m’a cuisiné le plat le plus surprenant de ma vie, à base de cochon et de murène. Les niveaux de gras des deux chairs sont très proches et comme il avait grillé la viande et poché le poisson, les deux se confondaient en bouche. Une fusion et même une confusion terre-mer éblouissante !
Quand êtes-vous arrivé en France et pourquoi ?
J’ai d’abord fait un stage en 2008 au Mirazur aux côtés de Mauro Colagreco dont la carrière décollait à l’époque. Ensuite, je suis revenu un temps en Italie où j’ai effectué un autre stage chez Carlo Cracco à Milan. Et c’est là que j’ai lu un article dans le magazine culinaire italien Gambero Rosso qui parlait de Giovanni Passerini, que j’avais déjà croisé au début des années 2000. On avait un peu sympathisé à l’époque ; j’ai donc repris contact avec lui. Il était arrivé à Paris quelques mois plus tôt et j’ai décidé de le rejoindre. C’était en 2009. Giovanni allait bientôt ouvrir sa première adresse en propre : Rino, un resto de poche devenu grand de renom ! On était aux anges, en duo, dans une cuisine miniature, sans commis et avec un plongeur à mi-temps, à envoyer des menus carte blanche à midi : pour nous, c’était un palace.
Que représente Giovanni Passerini pour vous ?
C’est mon grand frère. Et pour l’anecdote : on est nés le même jour, le 20 janvier ! Giovanni est un génie, un artiste et un grand guitariste. Quand on cuisine ensemble, on est connectés. On a vécu ensemble l’année de bascule, notre grande année, l’année 2010. Je me suis présenté au concours du meilleur jeune chef Omnivore et Giovanni m’a beaucoup aidé à préparer mon plat : c’était une brochette de cœur de pigeon avec des pickles. Un plat inspiré d’Iñaki Aizpitarte, le chef génial et iconoclaste du Chateaubriand qui a réinventé la cuisine moderne dans les années 2010 : Iñaki était mon Iggy Pop (sourire).
Après les vibrantes années Rino, vous ouvrez votre première adresse : Roseval, un bistrot canaille de Ménilmontant où votre renommée a explosé.
En 2011, j’ai failli intégrer la brigade du grand Pierre Gagnaire mais j’ai finalement travaillé à La Gazzetta, le néo-bistrot légendaire de Petter Nilsson qui est le technicien le plus fort que je connaisse : il fait tout mieux et plus vite que tout le monde ; c’est le Zlatan de la cuisine ! Et rapidement, j’ai eu envie de créer mon propre restaurant, où faire les choses à ma façon. D’où Roseval. Avec Michael Greenwold, nous y formions un binôme de jeunes cuisiniers fougueux, lui l’Américain élevé au Royaume-Uni, moi l’Italien de Sardaigne, qui reprenions un bistrot purement parisien, dans un quartier populaire, vibrant… Tout cela incarnait quelque chose de la modernité culinaire sans frontières ni raideurs. D’ailleurs, le restaurant est vite devenu un phénomène avec ses 20 couverts, ouvert 5 soirs par semaine : on a eu une forte médiatisation et on a même raflé le prix Fooding de la meilleure Table 2013.
Puis s’en est suivie la tentative du « grand restaurant » éponyme : Restaurant Tondo, rue de Cotte. Qu’est-ce que vous êtes allé chercher dans cette aventure ?
D’abord, aller là-bas pour moi c’était une manière de reprendre les murs d’un restaurant qui avait été ma maison : La Gazzetta. Je voulais faire honneur à ce que ce lieu avait été. Au final, cette période a été compliquée… Ça ne s’est pas passé comme je le voulais avec mon associé avec qui nous avons sans doute eu la folie des grandeurs. J’ai perdu ma grand-mère ; mes équipes en cuisine avaient leurs problèmes… Mais ça m’a aussi permis de comprendre ce que je ne voulais plus et ce vers quoi je voulais aller.
Et cette destination, c’est Racines : votre (ré)ancrage dans l’osteria, et ce dans un cadre de bistrot magnifique. Votre retour en grâce s’est passé comment ?
Je cherchais un lieu et David Lanher, célèbre multi-restaurateur, m’a proposé cette pépite de bistrot dans le passage des Panoramas. Un espace où avait déjà travaillé le grand cuisinier organique Pierre Jancou avant moi. Tout de suite je me suis dit que je voulais le reprendre et le marquer de mon empreinte, faire de la cuisine d’osteria, accueillante, savoureuse, qui régale ! Le lieu était un peu froid et sombre ; on en a fait une vraie maison habitée avec l’équipe : Maria à la pâtisserie, Stéphanie aux vins et toutes les autres personnes qui animent cette adresse. Cela a été un carton tout de suite : la clientèle conquise, le prix Fooding 2019 et même l’étoile Michelin ! On a bénéficié de cette étoile de manière inespérée, puis le guide rouge nous l’a retirée ensuite de manière tout aussi mystérieuse. On l’a reçue avec plaisir et on l’a perdue sans peine. Nos caractères étaient sans doute trop incompatibles. Je souhaite bon vent à Bibendum, sans rancune.
Quels sont vos plats cultes chez Racines ?
Le vitello tonnato, bien sûr, qui est l’emblème de Racines. Et aussi la cotoletta alla milanese, cette escalope de veau panée avec l’os. Du plaisir, du plaisir ! Quel est votre plus grand plaisir en cuisine ?Trouver le bon tempo avec mes équipes. Quand on a le juste tempo et que la chorégraphie d’un service est parfaite : ça, ça me fait jubiler !
Si vous deviez faire l’éloge de votre clientèle, comment la définiriez-vous ?
Joyeuse, cultivée, sensible. Récemment, j’ai été touché par le mot d’une cliente sur les réseaux sociaux qui disait que j’étais le « meilleur hôte de la ville ». C’est sans doute exagéré mais ça me va droit au cœur ! « Osteria » vient de « oste » qui veut dire « hôte » en Italien. Au fond, c’est ça que je cherche à être chez Racines : un hôte avec un grand H. D’ailleurs, je viens d’ouvrir un espace dédié aux tablées intimistes au premier étage du restaurant.
Après toutes ces aventures et après Racines, pensez-vous déjà à votre futur restaurant, au coup d’après ?
Depuis que j’ai 20 ans, je joue avec l’idée d’ouvrir une auberge justement, plutôt à la mer, peut-être en France, peut-être en Sardaigne… Faire un peu comme l’immense Olivier Roellinger aux Maisons de Bricourt, dans son restaurant face aux embruns, qui est le lieu le plus magique que je connaisse !
Aïtor Alfonso
Crédit photo : Puxan Photo
Racines
Ouvert tous les jours, déjeuner et dîner
8, passage des Panoramas
75002 Paris
+33 1 40 13 06 41
https://racinesparis.com