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Alessandra Montagne
(Nosso) : l'humain
d'abord
Mars 2022
CONVERSATIONS
Alessandra Montagne (Nosso) : l'humain d'abord
Il y a comme un éclair dans le regard d’Alessandra Montagne. Une lueur, une flamme qui suffit à transmettre à ses interlocuteurs, d'un seul coup d'œil, la vigueur des convictions qui l’animent. Pour cette cheffe brésilienne née à Rio de Janeiro et arrivée en France à 22 ans avec 100 euros en poche, c’est d’abord l’idée qu’en cuisine, on peut arriver à tout en partant de presque rien. Au sein du restaurant Nosso, son havre gastronomique du 13ème arrondissement, c’est aussi la certitude que la cuisine est une quête de sens. Celui que l’on donne aux produits et aux gens qui les font, afin d’inventer une cuisine éco-responsable, basée sur l’économie locale et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous nous sommes rendus chez Nosso le temps d’un déjeuner, et avons pu poser quelques questions à Alessandra sur la nature de ses engagements culinaires.
Bonjour Alessandra, on est ici chez Nosso, votre nouveau restaurant. Est-ce que vous pouvez nous raconter l’histoire de ce lieu qui a ouvert en août dernier ?
J’ai longtemps tenu un petit restaurant qui s’appelait Tempero, juste à côté d’ici. On travaillait à quatre dans une cuisine minuscule : les conditions de travail étaient un peu difficiles. J’ai répondu à un appel d’offres de la mairie du 13ème arrondissement qui cherchait à pourvoir un grand local sur cette magnifique promenade, juste à côté de la bibliothèque François Mitterrand. Le jour de mon anniversaire – c’était un signe –, j’ai reçu un coup de fil de Madame la Maire qui m’a annoncé que ma candidature avait été acceptée. Mais le site était encore en construction et j’ai dû attendre un an et demi avant de pouvoir m’y installer. Malheureusement, à peine les travaux terminés, le COVID est arrivé et tout s’est mis à l’arrêt...
J’imagine que cela a dû être un gros coup dur. Comment avez- vous réagi ?
Cela a été une période de grande résilience pour moi. J’avais investi beaucoup d’énergie et de temps dans ce projet. À la crise sanitaire, s’est ajoutée une autre forme de crise, plus existentielle. Pendant ce laps de temps, j’ai eu besoin de me recentrer, de mieux comprendre pourquoi je faisais ce métier. Je me suis accrochée et puis tranquillement, l’orage est passé et Nosso a enfin pu voir le jour.
Tout cela a-t-il changé quelque chose dans votre façon de cuisiner ?
Je ne réfléchis plus uniquement en termes de goûts : je suis devenue beaucoup plus attentive, par exemple, à ce que peuvent apporter un fruit, une plante ou un légume racine d’un point de vue nutritionnel. J’ai suivi une formation en naturopathie pendant le confinement : c’est quelque chose qui m’a appris à cuisiner de façon plus consciente. Maintenant, il m’arrive d’utiliser des huiles essentielles dans certains desserts au service du soir : je sais qu’elles vont avoir un effet calmant, apaisant, qui va permettre d’accompagner les gens jusqu’à la fin du repas. De manière générale, aujourd’hui encore plus qu’auparavant, je porte énormément d’attention au facteur humain et au bien-être de mon équipe en cuisine.
Vous semblez très proche des gens avec qui vous travaillez. Comment avez-vous constitué votre équipe chez Nosso ?
Le noyau dur est constitué de personnes formidables qui me suivent depuis le début. Juan, par exemple, a commencé à mes côtés comme apprenti : aujourd’hui, c’est un de mes deux seconds, avec Luiz Gustavo Galvão. Sandra, ma cheffe pâtissière, a fait ses débuts chez moi en tant que stagiaire. Je considère ceux qui travaillent ici comme des membres de ma propre famille, comme des associés. D’ailleurs, « Nosso » signifie « le nôtre » en portugais. Une manière de dire que c’est un restaurant qui appartient à tous ceux qui évoluent ici à mes côtés : j’ai d’ailleurs littéralement ouvert le capital de l’entreprise aux employés qui souhaitaient y entrer. Les comptes sont transparents et les bénéfices partagés. Ce nom, “Le nôtre”, a aussi du sens de façon figurée, parce que l’on cuisine ensemble et que l’on traverse le même lot d’épreuves et d’émotions au quotidien.
Comment définissez-vous le type de cuisine que vous servez, chez Nosso ?
Je dirais que c’est une cuisine de l’instant, qui laisse une grande place aux produits, que l’on chérit et que l’on respecte. C’est une cuisine responsable aussi, parce que l’on a à cœur de gaspiller le moins de nourriture possible. On fait en sorte de récupérer chaque épluchure, de valoriser chaque petit reste, pour leur donner une nouvelle vie : c’est toute une philosophie et un vrai engagement de notre part. Enfin, c’est une cuisine vertueuse qui met en avant les petits producteurs et le savoir-faire local.
Justement, sur la carte, à côté des intitulés des plats, vous nommez les producteurs qui vous fournissent en fruits et légumes. Quel est le lien que vous entretenez avec eux ?
On essaie d’être le plus possible en contact direct avec nos producteurs. Connaître les personnes qui sont à l’origine du produit, c’est déjà une manière de s’en rapprocher : cela nous encourage à le respecter, à ne pas le gaspiller. C’est aussi une façon pour nous de transmettre les engagements du restaurant et de soutenir les maraîchers qui travaillent de façon raisonnée – en bio ou en permaculture, par exemple – pour qu’ils puissent vivre de leur métier. Pour en citer deux : nous travaillons beaucoup avec Franck Ponthier, le jardinier de Zone Sensible, la Ferme Urbaine de Saint-Denis, et avec Biovor, un distributeur qui met en relation les restaurants avec des producteurs bios d’Île-de-France, en circuit court.
Parmi vos dernières créations culinaires, quelles sont celles qui vous ont le plus enthousiasmée ? Racontez-nous comment vous les cuisinez...
J’aime beaucoup cette petite entrée que l’on fait en ce moment : des gyozas entièrement “zéro déchet”. On récupère les parures d’un ragoût de joue de bœuf que l’on sert en parallèle, et on en fait une farce en ajoutant d’autres restes : du vert de poireau, des chutes d’échalotes… On les recouvre d’une jolie tuile de miettes de pain. D’autres inspirations viennent spontanément pendant le service, comme ce rouget que je sers en filet, mi-cru, juste flambé au chalumeau.
Je suis aussi fan de notre poitrine de porc, lentement braisée au four, arrosée dans son jus jusqu’à obtenir une texture ultra-fondante. On l’accompagne d’une crème de patate douce. Les parures du cochon, encore une fois, ne sont pas perdues : le surplus de gras ira dans la composition d’un boudin noir. Et puis, il y a cette recette de poisson que j’adore : c’est un filet de lieu noir que l’on cuit vapeur, juste nacré, et que l’on vient agrémenter de lamelles de fenouil à la mandoline et napper d’une sauce au champagne. Au dernier moment, on ajoute un peu de caviar, un trait d’huile d’olive et un autre d’huile de ciboulette.
Et s’il ne fallait garder qu’un plat pour symboliser l’âme de Nosso, ce serait lequel ?
J’ai beaucoup de tendresse pour les coxinhas que l’on sert en amuse-bouche. C’est le premier contact que les clients ont avec notre cuisine.
Pour moi, elles ont une symbolique particulière. Ce sont des petites croquettes de poulet en forme de larmes, très populaires au Brésil. C’est un parfait exemple de street-food carioca ! J’en ai d’ailleurs vendu moi-même à une époque. Être en mesure de les servir aujourd’hui, dans mon restaurant, ça veut dire beaucoup pour moi.
Léo Bourdin
Nosso
Ouvert lundi et mardi, déjeuner; du mercredi au vendred, déjeuner et dîner
22, promenade Claude Levi-Strauss
75013 Paris
+33 1 40 01 95 17
https://www.nosso-restaurant.fr
Crédit photo : Olivier Toggwiler