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CONVERSATIONS
William Ledeuil et
Pandora Métayer : les pâtes en majesté
Février 2022
CONVERSATIONS
William Ledeuil et Pandora Métayer : les pâtes en majesté
Côte à côte, deux cuisiniers racontent une histoire de transmission. A gauche, William Ledeuil, grand maître de la cuisine fusion qu’il porte aux nues depuis les années 2000 chez Ze Kitchen Galerie et KGB. A droite, Pandora Métayer, son élève talentueuse et appliquée qui a gravi tous les échelons au sein des cuisines de la rue des Grands Augustins. Aujourd’hui cheffe de Kitchen Ter(re), la troisième adresse de William Ledeuil, elle donne aux pâtes leurs lettres de noblesse gastronomique. Fort peu italiennes, ces pâtes inédites aux noms cocasses ressuscitent la tradition française des vermicelles de qualité, sublimés de bouillons envoûtants aux flaveurs sud-est-asiatiques. Interview croisée de ce binôme qui élève la pâte au rang de grand art.
Kitchen Ter(re) est la cadette de vos adresses, après Ze Kitchen Galerie ouverte en 2001 puis KGB en 2009 où vous avez perfectionné la cuisine dite “fusion” entre produits français et assaisonnements asiatiques. Quelle parenté y a-t-il entre ces trois adresses ?
William Ledeuil : Entre les trois lieux, il y a cet ADN commun que vous signalez. Mais Kitchen Te(re) est un accident de parcours (rires). Au départ, j’avais l’idée d’ouvrir un restaurant de hors-d’oeuvres du monde entier afin de mettre à l’honneur les mezzés, les antipastis, mais aussi le bento, le ramen et plus généralement les bouillons. Mais à cette même époque, ma rencontre avec Roland Feuillas (NDLR : boulanger et meunier à Cucugnan qui broie des variétés de blés anciens pour en faire des farines et des pâtes d’exception) a marqué un tournant dans le projet. Je suis allé faire un cours, magistral, chez lui et j’ai découvert ces farines magnifiques : de petit épeautre, de rouge de Bordeaux, de barbu du Roussillon… Alors j’ai eu un déclic et j’ai demandé à Roland si on pourrait imaginer une carte de restaurant uniquement faite de pâtes créées par nos soins. On a commandé des matrices en bronze en Italie, fait de nombreux essais et ça donne ces pâtes originales.
Vos pâtes ne sont pas italiennes, ni par leur nom, ni par leur préparation. Leurs formes sont très poétiques. Vous avez voulu ressusciter le vermicelle à la française pour lui donner une stature gastronomique ?
W.L : Tout à fait. J’ai voulu faire revivre cette tradition de la vermicellerie française qui a largement disparu. Ce sont des pâtes sèches sans œuf que je préfère en goût aux pâtes fraîches : les nôtres sont fabriquées avec des blés cultivés en agroécologie, goûteux et nourrissants, et dont les taux de gluten sont faibles. Et puis Roland leur a donné des noms français : girolette, cargolette, dentelle, crête… Le secret de notre préparation des pâtes, c’est qu’elles sont cuites dans un bouillon dont elles absorbent lentement les arômes, comme un risotto. D’ailleurs, en fonction de sa forme, de sa courbure, de ses stries, la pâte accroche plus ou moins la sauce : à chaque préparation, sa forme de nouille adéquate.
Pandora Métayer, en travaillant avec William Ledeuil, ce virtuose du bouillon, vous avez l’impression d’être devenue experte en fonds et sauces ?
Pandora Métayer : Forcément, j’ai énormément appris, moi qui suis passée par les trois restaurants du chef depuis sept ans que je travaille avec lui. Après ma formation chez Coutanceau à La Rochelle, j’ai cuisiné à l’étranger pendant cinq ans, avant de devenir cheffe de partie chez Ze Kitchen, puis sous-cheffe chez KGB et enfin cheffe de Kitchen Ter(re) depuis deux ans. J’ai beaucoup pratiqué les bouillons, les herbes asiatiques mais aussi les poissons. Maintenant, je lève des filets les yeux fermés (rires).
Car vous faites aussi du Kitchen Mer chez Kitchen Ter(re).
P.M : Oui, pour ce midi par exemple, on prépare un saumon d’Ecosse, juste relevé d’une vinaigrette aux agrumes, à la bonite séchée, au gingembre confit et aux herbes. C’est un produit précieux que l’on transforme assez peu et que l’on met en valeur en y associant quelques condiments subtils. C’est ça la manière “ledeuillenne” de cuisiner.
W.L : On aime bien combiner la fraîcheur des entrées et la densité nourrissante des pâtes en plat de résistance. Je me suis souvent demandé pourquoi j’ai toujours eu des pâtes et des bouillons dans mes cartes de restaurant, je leur ai d’ailleurs consacré deux livres. Le bouillon, cela vient sans doute de mon côté paysan. Les pâtes, c’est un produit très déclinable, un support avec lequel on peut s’amuser à marier les saisons et les inspirations. Prenez une girollette juste enrobée avec du beurre de sarrasin, du pecorino et du poivre, c’est magnifique, - ou alors vous l’hydratez d’un bouillon de crustacé avec des morceaux de homard : c’est la même pâte mais le plat est très différent !
Le bouillon, c’est une préparation élémentaire, fondamentale. Une quintessence de saveurs à la fois éthérée et intense. Vous diriez que c’est la base de la cuisine ?
W.L : Le bouillon, c’est la base de tout. On aime voir les gens saucer le fond de leur assiette avec du pain. Dans la cuisine française, le bouillon était un peu dévalorisé il y a vingt ans. Alors qu’en Asie, le pho, le dashi, le tom yam ont toujours été au centre des repas. Et à notre époque, je trouve qu’il y a un retour en grâce du bouillon qui est en synergie avec de nombreuses préoccupations du temps : c’est un excellent moyen de ne rien jeter à l’heure du zéro déchet, l’allié d’une cuisine plus végétale, nourrissante et digeste, et il répond aussi aux attentes de la cuisine-santé. Bref, le bouillon est une potion magique !
P.M : Et c’est une source infinie d’inspirations aux fourneaux. D’ailleurs, c’est cette cuisine d’intuition et de geste que j’ai appris à affirmer depuis que je suis ici : jouer de l’acidité, moduler l'assaisonnement d’un bouillon, imaginer la rencontre d’une pâte et d’une sauce… Je suis une cuisinière plus spontanée aujourd’hui.
A ce sujet, quelle est votre recette préférée du moment ?
P.M : Je dirais les girolettes aux coques dans un bouillon de coquillages et algues nori. J’aime bien ajouter une poudre “crunchy” sur mes pâtes, une touche personnelle qui apporte du sel et du croquant. Pour ce plat, j’ai imaginé une chapelure à base de fruits à coque, parfumés aux feuilles de cari et de cumbawa, à la manière de la farofa au Brésil (NDLR : poudre de tapioca ou de manioc qui est consommée sur la viande ou le poisson). On a l’acide, le salin, le moelleux, le mordant, et le croustillant : je fais en sorte que chaque plat de pâtes soit un petit ensemble de textures.
Dans le registre du sucré, la glace elle aussi cherche la captation du goût dans le liquide, comme le bouillon. Pas étonnant que les glaces soient également un marqueur fort de votre cuisine - on pense à la légendaire chocolat blanc-wasabi. Question ouverte : la glace serait-elle le bouillon des desserts ?
W.L : C’est intéressant, c’est vrai qu’il y a un lien entre les deux. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de mal à imaginer un dessert sans glace. Pour moi, elle est le point final indispensable d’un repas car elle est rafraîchissante et permet de conclure sur une note de légèreté que je trouve très agréable.
Pandora, la glace est un art que vous maîtrisez à la perfection. Quelles sont celles du moment chez Kitchen Ter(re) ?
P.M : J’ai mis un peu de temps à apprivoiser les glaces mais maintenant ça marche bien. Et puis je peux toujours appeler ma sœur si j’ai besoin de conseils (NDLR : Nina Métayer, pâtissière surdouée, créatrice de Délicatisserie). Mes glaces sont peu sucrées, atypiques, cuisinées. En ce moment, j’en ai trois à la carte : un sorbet coco-pandan et crémeux de maïs ; un praliné glacé au gianduja et croustillant de feuillantine (NDLR : un mélange de chocolat fondu et de crêpes dentelles écrasées) et un sorbet yaourt avec compotée de poire et financier pistache. J’ai de très bons retours de la part des clients alors je me dis que c’est plutôt réussi (sourire).
W.L : Comme vous pouvez le voir, Pandora n’est pas là par hasard (sourire) ! Elle a réussi à trouver sa propre expression dans le style de mes restaurants, et ça, c’est très fort !
Aïtor Alfonso
Kitchen Ter(re)
Ouvert du mardi au samedi, déjeuner et dîner
26 boulevard Saint-Germain
75005 Paris
+33 1 42 39 47 48
https://zekitchengalerie.fr/en/restaurant/kitchen-terre-en/
Crédit photo : Olivier Toggwiler